1737 | La théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois, pour la construction des voutes

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1737 | La théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois, pour la construction des voutes

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La théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois, pour la construction des voutes et autres parties des bâtimens civils & militaires, ou traité de stereotomie a l'usage de l'architectur : tome premier, par M. Frezier, Chevalier de l'Ordre Militaire de Saint Louis, Ingenieur Ordinaire du Roy en Chef à Landau.

Autor

Amédée-François Frézier

Data 1ª edição

1737-1739

Citação 1

(i) - Discours preliminaires. Premierement, sur l'utilité de la theorie. Dans les Arts relatifs à l'Architetture. [...].

Je me propose dans cet Ouvrage de donner la theorie des Sections des Corps , autant qu´elle est necessaire à la démonstration de l´usage qu´on en peut faire en Architecture pour la construction des Voutes, & la “Coupe des pierres et des bois” , ce que perfonne n´avoit encore fait ; & parce que je prends une route differente de ceux qui ont traité de cette Matiere , qui se sont telle ment bornez à la Pratique , qu´ils semblent mépriser la Theorie , ou l´ignorer : je vaais tácher d´en établir l´utilité.

Vitruve , qu´on peut citer pour un bon Connoisseur dans les Arts, parce qu´il est reconnu pour un fameux Architecte , & qu íl étoit de plus Ingenieur d´Auguste , y distinguoit deux chofes, sçavoir , l'Ouvrage & á le Raisonnessent; l´une dit-il , est l´affaire des Gens qui en ont fait apprentissage ; l´autre est du ressort des Sçavans. Tout le monde ne pense pas aussi juste que lui ; une grande partie des hommes connoissent si peu la nature des Arts , qu´ils croyent qu l´on ne peut s´y rendre habile que par l´experience ; ils regardent la Theorie comme une occupation vaine , qui n´a pour objet que des chimeres , dont les Artes ne retirent aucun avantage. On a vû , disent-ils , de Grands Hommes dans l´Architecture Civile , & même dans la Militaire , qui se sont distinguez par leurs Ouvrages sans être Geometres ni Algebrites , donc on peut se passer de ces Sciences pour devenir habile dans les Arts.



Pour répondre à ce faux raisonnement , que bien des gens tâchent de faire valoir par l´intérêt qu´ils ont de l´établir , je dirai qu´absolument parlant , à la réserve de la nourriture , les hommes peuvent se passer de tout , même d´habits dans les Païs froids , témoins les anciens Gaulois nos Ancêtres , & plusieurs Nations de Sauvages ; mais puisque la Nature nous à destinez au travail , & que moyennant un peu d´application elle nous donne l´industrie d´ajouter une infinité d´agrémens & de commoditez aux Ouvrages de ceux qui nous ont precedé , & de concilier la beauté & la solidité des Edifices , qui nous garantissent des injures de l´air & des insultes de nos ennemis , il semble que ce n´est pas agir en hommes raisonnables , que d´attendre que l´experience nous fasse sentir nos besoins ; mais que nous devons réflechir aux moyens de pourvoir à ceux , qui peuvent nous arriver dans l´exécution de nos desseins , & de combiner ces moyens de tant de manieres differentes , que nous choisissions toujours les plus fûrs , les plus courts & les plus faciles , ce qui est réservé à la seule Theorie.

Qu´on me permette ici une comparaison pour rendre cette verité plus sensible ; avant qu´on formé les Grands Chemins par des Chaussées droites , solides , & de largeur commode , on communiquoit comme aujoud´hui d´une Ville à une autre , mais on demeuroit bien plus longtems en chemin , on éprouvoit une plus longue fatigue , on étoit sujet à demeurer embourbé , & souvent à s´égarer.

Avant qu´on eût consulté la Geomterie & la Mechanique en Architecture , on faisoit des Voutes des mêmes Materiaux q'aujourd´hui ; mais on ne pouvoit s´affûrer de l´équilibre de l'effort de leur Poussée , & de la résistance des Pièdroits qu´il tend à renverser ; de forte que ne sçachant garder un milieu convenable entre le trop & le trop peu de leur épaisseur , on étoit sujet à y consommer une dépense superfluë en materiaux , ou à les voir s´écrouler par trop de foiblesse : l´experience nous en fournit encore assez souvent des exemplos , à la honte de ceux qui se mêlent de construction sans connoissance de Geometrie ni de Mechanique , & au grand dommage de celui qui fait bátir. On faisoit aussi des Ceintres de differentes especes , Circulaires , Surbaissez , Surhaussez & Rampans ; mais on ignoroit quelle étoit la Courbe , qui leur convenoit le mieux dans les circonstances des Termes donnez. On rencontroit dans l´exécution des difficultez qu´on n´avoit pas prévû , & qu´on ne sçavoit résoudre que comme le noeud Gordien , en démolissant & recoupant plusieurs fois les parties de Voutes qui ne quadroient pas , jusqu´à ce que l´oeil fût moins offensé de leur difformité, d´où il résultoit beaucoup de perte de tems & de Materiaux ; & parce que le tâtonnement n´a de fuccès que par hazard , de tels ouvrages duroient peu , coûtoient beaucoup de façon , & satisfaisoient rarement la vúë , & l´esprit des Connoisseurs.

D'ou vient donc que les Praticiens méprisent la Theorie , & la comptent pour rien au prix de l´experience qu´ils ne cessent de vanter ? j´en trouve deux raisons : la premiere , c´est pour détourner la honte qu´ils ont de ne pouvoir rendre d´autre raison de leurs Ouvrages , que celle de l´imitation de ceux qui passent pour bons , & de la convenance qu´ils ont remarqué dans la pratique , fensant bien qu´ils ne sont pas assez éclairez pour remonter à la cause. Cette raison est tirée de la vanité du coeur humain ; l´homme pour s´élever sur ses égaux affecte de mépriser les choses qui lui manquent , & cherche à faire parade du peu qu´ilpossede ; de-là vient , qu´on se méprise réciproquement dans le monde , & que science , dont la beauté & utilité sont peu connuës de la multitude , n´est pas élevée au rang qu´elle doit tenir audessus de la seule pratique ; l´inattention & souvent le défaut de lumiere des gens en place favorisent les faux jugemens que l´on porte sur le mérite de la routine ; pusqu´on voit , que la peine de travailler à acquerir des connoissances utiles aux besoins de la vie , ou à l´ornement de l´esprit , est ordinairement très-inutile pour la fortune ; c´en seroit assez pour énerver toute émulation , arrêter les progrÈs des Arts , & rappeller la barbarie des Siecles d´ignorance , si la Nature n´avoit pourvú à l´aveugle injustice des hommes. Elle a attaché à cette peine la récompense d´une satisfaction intérieure , (\*) qui est seule capable de la soutenir contre les dédains d´une stupide indifference , ou d´une présomptueuse ignorance. En effet sans les attraits des Sciences , & un certain amour de la Vertu , qu´est-ce qui pourroit engager un homme sensé à consacrer ses veilles sans intérêt , au seul bien du Public , qui four-mille de gens plus disposez à la critique qu´à la reconnoissance , à relever les moindres fautes , qu´à leur faire grace en faveur de ce qui doit plus mériter leur attention & leur applaudissement?

La seconde raison de ceux qui préferent la seule Pratique à la Theorie , peut être sincerement déduite du fond de leur ignorance , parce qu'ils lui attribuent les effets de la Theorie qui leur est inconnuë. Daviler, fameux Auteur en Architecture , nous en fournit une preuve, & un exemple comique à la page 237. La seuerité des “Régles de Geometrie”, dit -il, est inferieure à la Pratique, comme “La Methode Des Cherches Ralonge´es Vaut Mieux Que Les Figures Geometriques” , d´autant qu´en cet Art la Pratiqtte est préférable à la Theorie : On ne peut s'empêcher de rire d'une pareille décision, qui montre évidemment que le Juge n'entend pas l'état de la question, & qu'il veut fronder ce qu'il ne connaît pas ; en effet , s'il avait sçù que la Cherche ralongée tirée du plein ceintre, du surhaussé ou du surbaissé, était une Ellipse très Geometrique , il n'aurait pas tenu ce langage ridicule. La plupart des gens fans Theorie parlent & pensent comme lui; parce que faute de principes ils n'arrivent qu'avec de grands efforts & une longue fuite de pratique à quelques foibles connoissances des choses, qui font les plus aisées a ceux qui ont de la Theorie ; de-là vient qu'_ils font grand cas des moindres, & se croyent de grands hommes pour s'être frayé quelques routes un peu aisées dans la Pratique , quoique ces prétendus Inventeurs ne puissent s'assûrer de la justesse ni de la réüssite de leurs operations tâtonnées, dont il ne voyent ni. la difference des cas, ni la preuve ; de sorte qu'ils croyent souvent avoir bien réüssi , lors même qu'ils n'ont fait qu'approcher de la verité, & qu'ils n'ont pas pris la voye la plus sûre & la plus courte; cependant parce qu'ils ne connoissent pas d'autre moyen pour y parvenir que l'experience , ils ne pensent pas qu'il y aît de meilleur maitre , appuyez sur le proverbe qu'ils citent à tout propos, Experientia verum magistra.

Je ne prétends pas ici diminuer le mérite de l'experience, j´en connois la necessité en plusieurs choses; par exemple, en Physique elle fait appercevoir des objets & des effets fur lesquels on n'étoit pas prévenu par prévenu par le raisonnement ; personne ne doute qu'elle ne ne soit indispensablement nécessaire dans les Arts qui dépendent de l'habitude , & dans ceux qui sont Problématiques , comme la Guerre ; mais elle l'est beaucoup moins dans ceux qui émanent des Sciences, c'est un guide équivoque , comme le bâton d'un aveugle, qui ne lui sert à se conduire que très -imparfaitement, en ce qu'il ne lui indique pas si bien les objets qu'il ne puisse prendre l'un pour l'autre, & se précipite, si le cas y arrive.

Cette distinction indique ce que l'on doit penser fur la Science & l'Experience necessaire à un lngenieur ; puisque son Etat tient à la Guerre & aux Arts dépendans des Mathématiques ; ce seroit mal décider contre la Theorie , que de citer des Gens élevez aux dignitez par les Actions militaires, quoique bornez à une simple routine de construction ; les récompenses dûës à la Valeur n'annoncent qu'une partie du mérite d'un Homme de guerre , laquelle ne suffit pas pour un Ingenieur. Ceux de l'Antiquité étoient sçavans; leurs merveilleuses inventions dans les Sieges nous le prouvent assez ; & quoique depuis la décadence des Romains les Sciences ayent en quelque façon fait divorce avec la Guerre ( car il n'est: plus de ces hommes propres à être fur le Trône de la Juftice , & à la. Tête des Armées) cette séparation n'aura jamais lieu à l'égard des Ingenieurs ; c'est chez eux que doit subsister cet ancien record de la Science & de la Guerre ; s´ils ont besoin de la bravoure , du bon sens & de l'experience d´un Guerrier , ils ont encore besoin de la science d´un Mathematicien. Sans la Geometrie, la Mechanique & l´Hidraulique de quoi sont – ils capables dans la construction des Forteresses & Places de guêrre , que d´imiter ce qu´ils ont vû, & copier souvent des fautes ? les traces d´aveugle experience quelques – unes.

 J'avancerai de plus , que les Sciences necessaîres à la Construction ne sont pas inutiles à la Guerre ; elles ouvrent l'esprit , fournissent des moyens industrieux pour les manoeuvres & les ouvrages necessaires à l´Attaque & à la Deffense des Places , que la seule valeur ne ne sçauroit exécuter sans ce secours. Archimede étoit un Mathematicien de pure spéculation , qui n´auroit pas daigné descendre à la Pratique , s'il n'avait été engagé par les sollicitations du Roy Hieron son Parent, de faire usage de ses connoiffances pour l'invention des Machines de guerre ; cependant ses coups d'essai furent si bien des coups de maître , qu'au Siege de Syracuse il dérouta, par la force de la Theorie, toute l'experience de ces Ingenieurs Romains, qui avoient fait valoir avec de grands succès leur habilité dans la conquête des Places les plus fortes ; ses nouvelles machines eurent tant d'effet, qu'il intimida & rebuta l'Armée de Marcellus, au point, que ce Genera1 renonça aux Approches & aux Assauts , forcé de se réduire à chercher par la longueur du Siege, ce qu'il ne pouvoit obtenir par la force contre l'ingenieuse résistance que lui faisoit Archimede. On peut lui en attribuer tout l'honner, car Plutarque dit, qu'il étoit l'unique Auteur de la deffense, que les Syracusains n'étoient que comme le corps & les membres, dont lui seul étoit l'ame , qui mettoit tout en mouvement, fans qu'on fit usage d'autres Armes que des siennes; cependant ce grand homme, ajoute-t'il, , ne se glorisioit point point de ces heureuses nouveautez , il ne les regardait que comme des Jeux de la Geometrie , qu'il estimoit si peu en comparaison de la Theorie , qu'il crut se faire plus d'honneur d'en laisser des Ecrits, que la description de ces merveilleuses Machines , dont l'invention & l'usage lui avoit acquis tant de gloire & un si grand Nom, qu'il passôit pour un homme doüé non de Science humaine, mais de Sagesse toute Divine. Disons – le sans déguiser , la seule experience ne fait que de serviles imitateurs , qui étant embarassez dans les moindres choses , & n'ayant de ressource que dans le recüeil de leur Porte-seüilles , donnent comme des aveugles dans le faux pour les projets , l'execution & le toisé.

Je dirai cependant sans vouloir favoriser l´ignorance , qu´un Ingineur doit se borner à l´étude de ce qui peut être utile à la Pratique , sans se livrer à de vaines curiositez , de peur qu´entraîné par l´amorce du plaisir des Découvertes , plus capables de flatter sa vanité que de le conduire à une  plus grande perfection des Arts , il ne soit à la solidité & à la propreté des Ouvrages dont il est chargé , & éviter l´écüeil du mépris , que les hautes Sciences inspirent , pour des occupations, qui sont à la portée des esprits les plus bornez ; il lui suffit d´être en état d'entendre & de mettre à profit les ouvrages des Sçavans & des Academies des Sciences , qui ont quelque rapport aux Arts nécessaires à la construction des Places , remettant les études aux hyvers & autres tems de loisir que nous laisse le service du Roy.

Parmi les connoissances qui nous sont necessaires, celle de la Coupe des Pierres , quoiqu´une des plus negligées , n´est pas une de moins importantes, j´ai reconnu par ma propre expérience qu'elle étoit aussi indispensablement nécessaire à un Ingenieur qu´à un Architecte ; parce qu´il peut être envoyé comme moi dans des Colonies éloignées, & même dans des Provinces où l´on manque d´Ouvriers capables d´exécuter certaines parties de Fortifications, où il faut de l´intelligence dans l´Appareil. L'épreuve que je venois d´en faire à mon second retour de l'Amerique me fit naître l´idée d´en composer un Traité ; invité à cette entreprise , premièrement par l´extréme rareté des Livres sur cette matiere , secondement par la manière imparfaite dont elle a été traitée jusqu´à présent. J´en dressois le projet , lorsque j'appris qu´un Architecte en alloit publier un , en effet , quelques mois après , celui de M. de La Rue parut ; mais comme il n´est fait , de même que celui du P. Deran ( qui étoit pour ainsi dire le seul ) que pour conduire la main sans éclairer l´esprit , je reconnus qu´il n´étoit pas assez Méthodique pour remplir l´attente du public , qui souhaitoit depuis long-tems un Ouvrage plus Geometrique ; j'en sus convaincu lorsque les personnes à qui j´avois communiqué mon Plan , m´engagerent à y travailler & à le suivre ; parce que la difference en est si grande , qu´on peut dire, que ce n'est pas multiplier les mêmes espèces de Livres. Ceux que je viens de citer sont faits pour les Ouvriers , & celui-ci pour les gens qui les doivent conduire , comme les Ingenieurs & les Architectes , que l´on doit supposer initez dans la Geometrie.

Je sçai que la routine & une certaine Geometrie naturelle tiennent lieu- de science aux Appareilleurs dans les cas ordinaires ; mais j'ai éprouvé qu'elle leur devenoit inutile dans ceux qui ne font pas énoncez dans les Livres, comme je le ferai remarquer lorsqu'il en sera question , & qu'ils seroient arrêtez tout court, fi l'Ingenieur n'étoit en état d´y supléer. Il doit donc prévenir la honteuse necessité de se livrer à l'ignorance des plus experimentez , qui n'en viennent à bout qu'à force de tâtonner & démolir plusieurs fois , finissant enfin par quelque diformité ou défaut de solidité. Ces cas ne sont pas si rares qu'on se l'imagine , puisqu´ils me sont arrivez; il n'est pas non plus extraordinaire d'en trouver des vestiges, non seulement dans les racordemens des vieux ouvrages avec des nouveaux , mais encore dans ceux qui sont faits de suite.

Je supposerai si l'on veut, que les Entrepreneurs fournissent de bons, Apparreilleurs; ne convient - il pas à la dignité d'lngenieur d'être en état de connoître & d'examiner ce qu'ils fout , pour ordonner & décider de la meilleure construction  , & ne pas souffrir des fautes qu´ils peuvent faire malicieusement , ou pour faire servir des pierres de rebut , ou pour s´épargner un peu plus de soin? D´ailleurs cette matiere est assez intéressant pour mériter l´attention d´une juste curiosité ; on en poutra juger par ce qui fuit.

Citação 2

(vij) - Second discours preliminaires. Exposition & Division du Sujet dont il s'agit. [...].

L'idee que l'on a attaché au Nom de la Coupe des Pierres, n'eft pas ce qui fe préfente d'abord à l'efprit; ce mot ne fignifie pas récifément l'ouvrage de l'Artifan qui taille la Pierre , mais la science du .Mathematicien, qui le conduit dans le deffein gu'il a de former une Voute, ou un Corps d'une certaine figure par l'assemblage de plufieurs petites parties; il faut en effet plus d'induftrie qu'on . ne penft pour qu'elles foient faites de façon , que, quoique d'inégales.

Citação 3

(x) - Troisieme discours. De l'Origine de la Coupe des Pierres , & de l'Usage qu´on en doit faire. [...].

Le Bois est la matiere la plus naturelle & la plus commode pour la construction des Bâtimens necessaires à l'habitation des Hommes; mais le désir commun à tous ceux qui font des Edifices considerables , d'en établir la durée pour un long - tems , l'idée que les ouvrages de bois sont sujets à tomber en caducité par la pourriture, & la crainte qu'ils ne soient ravagez par les incendies, ont fait préferer les Pierres au Bois , où on a pû les lui substituer. Dans cette vùë on n'a ménagé ni la peine ni les grandes dépenses pour les arracher des entrailles de la terre , les transporter & les tailler.

La necessité a aussi forcé les hommes dans plusieurs Contrées d'employer des Pierres au lieu de Bois ; parce que la nature leur a fourni plus de Carrieres que de Forêts. Cependant la maniere de bâtir avec des arbres a parû si naturelle , qu'on a regardé comme une beauté l'imitation de cette structure. C'est de - là que nous est venu l'usage des Colomnes dans l'Architecture antique, & celui des Pilliers ronds & des Perches dans la Gotique.

Pour rendre cette imitation plus parfaite , les Anciens faisoient leurs Colomnes, autant qu'ils pouvoient , d'une seule piece, comme sont les troncs des arbres; ils en usoient de méme pour leurs Architraves , qu'ils substituoient aux principales poutres que les colomnes devaient porter. Il reste des vestiges des Edifices des Egyptiens , des Grecs & des Romains , qui font voir qu´ils y employoient des Pierres d´une grandeur énorme.

Dans les derniers Siecles on a abandonné ces manieres de batir trop difficiles par l'immensité des poids qu'il falloit transporter, & par la dépense des sommes extraordinaires qu'ils consommoient; on leur a préferé l´assemblage de plusieurs Pierres d´une grosseur plus maniable , & sans s´écarter du goût des Anciens , on a continué d´imiter les troncs d´arbres par des colomnes ; mais on les a fait de Tambours , c´est-à-dire de tranches de Cylindre ; on a de même imité les poutres par des Architraves; mais on les a fait de Clavaux, qui se soutiennent en l'air, comme si le tout n'étoit que d'une Piece continuë; cependant comme cette situation est trop forcée, & que la poussée en est: grande, les Architectes les ont appuyées par des Arcades , qui leur ont parû plus solides, & quoique par cette construction les Colonrnes & les Architraves deviennent inutiles , ils les employent toujours pour ornement ; ce goût est aujourd'hui le goût dominant dans l'Europe, imité de quelques Monumens de l'Antiquité Romaine , que l'on a repris pour modele après un long intervale d'un goût d'Architecture toute differente.

Les proportions des Colomnes Antiques avoient parû dans les Gaules & d'autres endroits de l'Europe trop massives & trop courtes, on leur substituoit des Groupes de Perches extrêmement longues & menuës, & la difficulté d'imiter avec des Pierres la situation horizontale des Poutres avoit fait rejetter les Architraves , à la place desquelles on faisoit passer d'une Perche à fon opposée, des Arcs de Piene faillans sous les voutes, qui se croisoient & se rassembloient de differentes façons , imitant en cela les Tonnelles en Berceau, que l'on fait de branhes d'arbres pliées en rond d'un côté à l'autre.

Le contour méme des Berceaux cylindriques leur ayant parû aussi trop pesant, c'est-à-dire , faisant trop d'effort pour écarter les murs, les Architectes de ces tems faisoieut leurs Ceintres par deux arcs de cercles égaux , mais de diffèrens centres , dans le dessein d'en tenir les pentes plus rapides, & par ce moyen diminuer cet effort en les rendant aussi plus minces & plus légeres : ils les traversoient encore par d'autres parties de voutes, qui formoient quantité d'angles faillans dont les arêtes étoient cachées & fortifiées per des Nervures d´Ogives , des Arcs doubleaux , des Tiercerons , & des Formerets , dont ils formoient une infinité de compartimens , aboutissans souvent à des culs de lampes suspendus en l´air. Toutes ces naissances entrelassées , & les intersections des Moulures demandoient une grande intelligence dans l´Art de la Coupe des Pierres ; d´où je conjecture , que c´est à l´Architecture Gotique que nous devons rapporter l´Origine , ou du moins l´Adolescence de cet antique où il ait été mis en usage , que pour des traits assez simples , c´est que dans l´énumeration que Vitruve fait des connoissances necessaires à un Architecte , il ne parle point de celle de la Coupe des Pierres ; en esset la noble simplicité de l´Architecture des Anciens n´exeçoit pas beaucoup de sçavoir-faire des Appareilleurs , qui n´avoient presque que des Voutes Cylindriques ou Spheriques à conduire. La formation au contraire d´un grand nombre de figures bisarres & difficiles , qui se présentoient à tous momens dans l´Architecture Gotique , leur a donné lieu d´en imaginer d´autres , pour tirer party de l´irregularité des emplacemens des Bátimens , ou suppléer au deffaut de place. Les Angles , par exemple , qui ne paroissent pas des lieux propres à y pratiquer des Portes , n´ont pas empêché qu'on n´y aît vouté des passages , sans les émousser , ce qui paroit du premier abord contraire à la solidité ; on a fait porter en l´air des Cabinets sur des Trompes pour laisser une place libre audessous ; on a soutenu des Escaliers d´une infinité de façons , & l´on a imaginé tant de choses inconnuës aux Anciens, qu´on a trouvé assez de matiere pour en composer des Livres.

Philibert de Lorme, Aumônier d´Henri II , est , dit-on, le premier qui en ait écrit, non pas exprès, mais par occasion dans son Traité d'Architecture , qu´il publia en 1567. on voit que cette date n´est pas fort ancienne ; Maturin Jousse produisit quelques Traits dans son Livre intitulé Secrets d´Architecture , imprimé à la Flèche en 1642. le P. Deran , l´année suivante mit cet Art dans toute son étenduë pour les Ouvriers ; Bosse , ( la méme année ) donna un sistême tout different , qu´il tenoit de Desargues , lequel , par son obscurité & la nouveauté de son langage , ne fut pas goûté. Enfin M. de la Rue en 1728. a redonné une partie des Traits du P. Deran, avec quelques autres nouveaux. Tous ces Auteurs n´ont produit qu´une simple pratique dénuée de toutes preuves. Le P. Dechalles en 1672 fut le premier , & a été le seul jusqu´à présent, qui y ait ajouté des Démonstrations ; mais son Traité de Lapidum Sectione, inseré dans son grand cours de Mathematiques en Latin, n´est presque qu´un extrait du P. Deran , dont il a quelquefois copié jusqu´aux fautes , comme nous le ferons voir dans son lieu.

Apres avoir vu tous ces differens Ouvrages , il m'a paru qu´il restoit encore quelque chose de mieux à faire.

Premierement, qu´il étoit à propos de donner une connoissance exacte de la nature des Lignes Courbes , qui se forment aux arêtes des voutes , tant à leurs Faces qu´à l´intersection des Doëles , de celles qui sont composées de plusieurs parties qui se croisent , pour sçavoir les tracer sur des plans , lorsqu´il est possible , ou sur des surfaces courbes , lorsque ces lignes sont à double Courbure , en quoi consiste la premiere nouveauté de ce Traité.

La seconde sera la Correction des erreurs de plusieurs des anciens Traits.

La troisiéme celle de la Construction de plusieurs Traits changez , & 22de quelques - uns qui n'ont pas encore paru.

Je puis compter pour quatriéme nouveauté les démonflrations des Traits , parce que le P. Dechales ne m'a précedé qu'en Latin, mais non pas en François , de sorte que pour me servir de l'expression de Jousse, les Secrets d´Architecture y sont tout-à-fait dévoillez.

La nouveauté de cet Art & les difficultez qu'il contient engageoient les Architectes des deux derniers siecles à chercher des occasions de faire parade de leur Science , persuadez que rien ne pouvoit mieux les rendre recommandables , que ces Ouvrages hardis, où l'on ne pouvoit s'empêcher d'admirer la Coupe des Pierres; de sorte qu'ils affectoient d'en faire même sans necessité. J'ai vû le tiers d'une Tour quarrée , qu'on pouvoit faire porter de fond, soutenuë par la seule coupe d'une Platebande Rampante , qui en élevoit un Angle en l'air , & beaucoup de semblables témeritez.

Les Architectes de notre tems ne trouvant plus tant de raison de se faire admirer par une Science devenuë plus commune , ou peut-être devenus plus sages , ont banni toutes ces hardiesses bisarres, qui n'ont d'autre beauté, que celle de leur exécution, & qui non seulement ne contribuent en rien à la décoration des Edifices , mais leur sont encore préjudiciables, en ce qu'elles en augmentent les efforts & la charge; en effet il ne convient de mettre en oeuvre les Traits de Porte-à-faux comme les Trompes, que lorsqu'on y est absolument contraint, ou pour quelque Degagement , ou pour éviter la dépense & l'incommodité de prendre la p1ace dès les fondemens.

J'ajouterai encore , qu'il faut plùtôt cosulter le bon goùt que d'affecter de la rareté , & de la difficulté dans les Ouvrages , à quoi semblent pencher nos Architectes modernes , qui courrent à la nouveauté : La rencontre & l'intersection de differentes voutes n'est: pas toujours d'un bon effet. Un Arc de cloitre , par exemple, de ceintre circulaire peu concave, traversé de lunettes, & sürmonté d'un cù-de four , tel qu'on en voit à une Chapelle de l'Eglise de St. Sulpice , ne fait pas si bien qu'une voute moins composée. Des Lunettes Cylindriques, qui traversent une portion de Voute Spheroïde, ou Voute de Four surbaissée, ne se présente pas bien de près; parce que les arêtes d'Enfourchement paroissent Déversées , c'est-à-dire, penchées à droite & à gauche, comme on peut le remarqùer à la même Eglise de St. Sulpice ; cette difformité diminuë, lorsque la Lunette est vûë de bas en haut , & de plus loin , comme à St. Roch; mais elle n'est pas ôtée totalement, & on ne le peut par la nature de la Courbe, qui n'est pas dans un plan , comme on le verra dans le cours du premier Livre.

Enfin on peut encore remarquer, que les Voutes Spheriques , traversées par deux berceaux, qui se croisent, ont un air Nud & imparfait, si elles ne sont divisées par une Corniche Horisontale , qui retranche le Segment de Sphere , & le mette, pour ainsi dire , à part des Panaches; on en apperçoit le besoin au Noviciat des Jesuites à Paris. Il seroit trop long de rechercher de semblables concours de voutes , qui ne satisfont pas le coup d'oeil sans le secours de quelque correctif , quoique faites solidement & dans les régles de la bonne Construction.

Ces remarques sont plus utiles à l'Architecture Civile qu'à la Militaire, où l'on semble negliger la beauté pour la solidité ; il ne scroit pas cependant mauvais que les Ingenieurs fissent une étude de l'Architecture Civile ; elle leur est necessaire à la construction des Bàtimens Militaires, dont ils sont chargez dans les Villes de Guerre , comme Casernes,

Magasins, Hôpitaux , Logemens de l'Etat-Major, & même quelquefois des Eglises des Forts & Citadelles, qui sont de même espece que les Bâtimens Civils , dont ils ne different que de nom , ils peuvent même lorsque la Cour le juge à propos ,prendre la conduite des Batimens Civils publics; mais ils ne doivent jamais se mêler de ceux des Particuliers, de quelque Qualité qu'ils puissent être ; premierement parce qu'étant Officiers du Roy, à sa folde dans le repos comme dans le travail , (\*) il est de l'équité qu'ils disposent du loisir qu'ils peuvent avoir à s'instruire au Cabinet des Sciences qui leur sont necessaires , & des faits Historiques des Sieges , qui peuvent leur fournir des idées propres à les mettre en état de servir utilement à differentes destinations.

En second lieu, parce que rien n´avillit tant les Ingenieurs, que ces sortes d´occupations qui les font soupçonner de vûës d'intérêt, & les compromettent avec des Ouvriers ou Gens à gages, qui rejet-tent sur l'Ingenieur les fautes émanées de leur ignorance, ou du caprice du Proprietaire; les exemples fréquens qu'on en voit devroient corriger les gens trop officieux. Enfin parce qu'en se mélant d'Architecture Civile, ils semblent sortir de l'Etat Militaire & nourrir le dédain, que les Gens d'épée ont pour ceux qui se mêlent des Arts Mechaniques ; ce n'est pas qu'il n'y aît dans le Service des occupations peu nobles, l'Officier d'lnfanterie doit descendre aus petits foins de la propreté des Soldats & des Casernes , celui de Cavalerie à celle des Ecuries & des Chevaux, celui de Marine au Radoub & à la construction des Vaisseaux , celui d'Artillerie aux Charronages & aux Forges, & l'Ingenieut à tous les Arts qui ont du rapport à celui de bâtir ; ces fonctions auroient par elles-mêmes quelque chose de vile suivant le préjugé du monde , si l'on n'étoit convenu dans les régles de l'honneur, qu'il n'y a rien d´abject de tout ce qui concerne le Service du Roy dans l'Etat Militaire; les Ingenieurs doivent se renfermer dans ces bornes , & laisser l´Architecture Civile à ceux en font profession.

Referência bibliográfica

Frézier, Amédée-François. La théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois, pour la construction des voutes et autres parties des bâtimens civils & militaires, 3 vols. Strasbourg; Paris: Chez Jean Daniel Doulsseker le Fils; Chez L. H. Guerin l´aîné, 1737-1739.

Acesso

BPNM Mafra 2-41-9-4—6 / BnF Gallica

Acesso digital

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1513206r/f20.double

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